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Le visage lui disait bien quelque chose, mais il n’a pas vraiment pu se souvenir de qui il s’agissait. Même lorsqu’on lui a dit le nom du nouveau premier ministre, Michel Barnier, Jean-Marie Le Pen n’a pas été capable de retrouver dans sa mémoire le moindre épisode de sa carrière. Ni même de le situer sur l’échiquier politique français.
Devant lui, la télévision est constamment branchée, hurlant les programmes de BFM-TV ou de CNews, mais ses visiteurs confessent à demi-mot le même constat : l’ancien président du Front national (FN) ne semble plus vraiment comprendre le monde qui l’entoure et encore moins les soubresauts de l’actualité. Se souvient-il seulement des grands épisodes de sa propre vie politique ? « L’autre fois, alors que j’évoquais le 21 avril 2002, il ne savait plus qu’il était arrivé au second tour de la présidentielle », confie Lorrain de Saint-Affrique, fidèle depuis cinquante ans, qui continue à prendre une à deux fois par mois le train du Mans pour passer deux ou trois jours avec lui.
A 96 ans, l’ex-chef de l’extrême droite française se lève vers 15 ou 16 heures, marche un peu au bras de son aide-soignante dans le jardin de La Bonbonnière, cette maison que Jean-Marie et Jany Le Pen occupent à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), une banlieue chic à l’ouest de Paris, mais il ne sort pas au-delà. Depuis février, celui qu’on appelait autrefois « le Menhir » est placé sous un « mandat de protection future », qui donne à ses trois filles le droit de superviser l’ensemble de ses décisions.
Il ne paraîtra pas au procès des assistants parlementaires du FN au Parlement européen, pour lequel il a été mis en examen pour « détournement et complicité de détournement de fonds publics », dispensé par deux certificats médicaux qui attestent de l’altération de ses facultés cognitives et de son incapacité à répondre aux magistrats.
Les quelques visiteurs, anciens élus et compagnons de route du Front national ou son ex-femme, Pierrette, qui a renoué avec lui – aucun journaliste n’a accès à lui depuis 2023 –, racontent à peu près tous la même chose : Jean-Marie Le Pen est aujourd’hui considérablement affaibli sur le plan intellectuel. Il peut bien répéter d’un air patelin des phrases toutes faites – « Je regarde le monde… » ou « Il faut laisser les choses se faire » –, la conversation va rarement plus loin.
Ces chansons de l’entre-deux-guerres qu’il entonne volontiers, ces citations latines qu’il connaît encore, ces plaisanteries graveleuses de carabin qu’il ose toujours sont comme un masque destiné à donner le change. « Il a gardé des éléments de langage de sa vie politique passée, une sorte de réflexe qui peut faire illusion quelques instants, assure sa cadette, Yann, la seule des trois filles Le Pen à accepter de parler de son père au Monde. Il a si longtemps été en représentation que c’est comme si ce vernis lui restait. Mais, en réalité, il fait semblant. »
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